Durant notre mariage, je demandais souvent à mon mari : « Qu’est-ce que tu aimerais manger ce soir ? » et sa réponse était toujours la même : « Des restes. »
Pas très original, certes, mais il avait toujours très faim. J’ai vite compris qu’il me fallait toujours prévoir une quantité impressionnante de nourriture. Il n’était pas nécessaire pour lui que le repas soit délicieux ou exotique ; du moment que la portion était généreuse, il était satisfait.
Il racontait souvent comment sa mère préparait des nouilles sucrées après la guerre, quand la nourriture était encore rare à Vienne.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était encore bébé et que les sirènes annonçaient l’approche des bombardiers et que chacun devait se mettre à l’abri, sa famille courait se cacher dans une cave, espérant survivre. Oma, sa mère, m’a raconté que Dietrich avait une pneumonie, mais qu’ils devaient malgré tout rester là de longues heures, transis de froid. Elle craignait que son enfant ne survive pas. Finalement, ils purent prendre le dernier bateau sur le Danube au départ de Vienne et s’enfuir à la campagne où Oma pourrait travailler dans une ferme et où il y aurait plus à manger. La vie est souvent dramatique, comme un roman, jusqu’au dernier moment où Dieu intervient.
La grand-mère de Dietrich, Léopoldine, dut rester sur place. Elle avait du mal à se nourrir. Pendant longtemps, elle n’eut que du sucre à la maison ; elle en prenait donc une demi-cuillère à café le matin et une demi-cuillère à café le soir. À leur retour après la guerre, sa famille eut du mal à la reconnaître. Elle était si maigre et paraissait si malade. Elle devait rester alitée la plupart du temps pour économiser ses forces.
C’est peut-être une des raisons pour lesquelles mon mari avait toujours si faim.
Un jour, une amie m’a demandé d’un ton accusateur pourquoi je donnais des restes à mon mari. En réalité, il ne voulait jamais rien jeter.
Il était très économe. Que voulait-il pour son anniversaire ? Rien du tout. Même si nous lui faisions toujours des surprises, il disait n’avoir besoin de rien. Ma fille et moi étions fières de lui offrir des vêtements propres et décents. Sa devise : « Le meilleur moyen d’économiser, c’est de ne pas dépenser. »
Il était généreux. Pendant nos fiançailles, qui ont duré très peu de temps, il m’a donné tout l’argent qu’il avait sur lui. J’étais très touchée par ce geste. Je me souviens d’avoir eu envie d’aller prendre un café un jour, alors que nous nous promenions, mais il ne me l’a pas proposé. Je me suis demandé pourquoi. C’était sa façon d’être.
Quant à moi, j’ai toujours eu un faible pour les bagues, pour les objets exotiques et magnifiques, que je ne pouvais pas m’offrir. Ma préférée aurait été une émeraude d’un vert profond, semblable à celle que j’ai vue dans un musée viennois de bijoux ayant appartenu à des rois et des reines.
Mais sa générosité et son dévouement étaient ce qu’il y avait de plus précieux ; des qualités que les cartes de crédit ne peuvent acheter.
Il aurait pu devenir prêtre, avec toutes les restrictions et les vœux de pauvreté que cela implique. Au lieu de cela, il a choisi de fonder une famille et d’y respecter ses vœux éternels de fidélité, d’amour du prochain et d’altruisme.
C’est ce qui a été le plus précieux. C’est notre trésor pour l’éternité.